Pierre-Yves Butzbach, le petit Belfortain qui se rêvait cinéaste en fréquentant le ciné-club où l’emmenait son otorhino de père ne s’attendait certainement pas à plonger un jour jusqu’au cou dans un tel bouillonnement créatif et devenir le gardien du trésor de l’un des plus grands artistes du XXe siècle.
« Après mes études, j’avais créé ma société de production audiovisuelle à Paris lorsqu’un ami m’a téléphoné pour me demander si ça m’intéresserait de réaliser des travaux de reproduction photographique. C’est ainsi que je me suis retrouvé avec 6.000 tirages vintage de Man Ray. Un coup de massue. »
Si Man Ray est décédé en 1976 à l’âge de 86 ans, Juliet, sa dernière muse, qu’il a épousée en 1946 à Los Angeles, est encore vivante à la fin des années 80 et vit à Paris. « C’était une vieille dame adorable, qui fumait dix paquets de cigarettes par jour, entourée d’une cour pressante et souvent intéressée, lorsque ses frères ont repris les choses en main pour protéger le fonds des œuvres de Man Ray.
Mais ils ont vite appris, à leurs dépens, qu’il ne valait mieux pas envoyer des originaux lorsqu’ils recevaient une demande de reproduction. J’ai passé un mois chez Juliet, rue d’Assas, à effectuer les phototypes.
On connaît tous les plus grandes images de Man Ray comme ‘’Noire et Blanche’’, ‘’Le violon d’Ingres’’ ou ‘’Les larmes’’, mais quand vous avez toute la série sous les yeux, que vous pouvez voir tout le processus créatif, comment d’une idée, d’un dessin, il est passé par la photo pour arriver à un tableau ou un objet, c’est absolument fabuleux. Man Ray était un homme qui savait parfaitement ce qu’il voulait.
On le voit à travers ses solarisations dont l’effet est particulièrement délicat à maîtriser. C’était un travailleur titanesque, Il menait une création artistique foisonnante parmi laquelle la photographie n’était toutefois qu’un élément, même s’il a été l’un des premiers à l’utiliser comme un art à part entière. D’ailleurs, lui-même s’est toujours revendiqué comme peintre. C’est par hasard qu’il est arrivé à la photographie, pour en vivre, initié à la technique par Stieglitz. Cela lui permettait de faire des reproductions des tableaux de ses amis dadaïstes et souvent, quand il lui restait une plaque, il réalisait un portrait de l’artiste.
C’est comme ça que l’on a des photos de Picasso jeune. » Cette collaboration avec le Man Ray trust débouche sur la coproduction d’un CD multimédia consacrée à l’œuvre de l’artiste, puis à la création de la première photothèque numérique en ligne, avec moteur de recherche, dédiée à un artiste unique et destinée à gérer les droits de reproduction. C’est sur cette base que Pierre-Yves Butzbach poursuit une véritable quête des originaux de Man Ray, en contactant les collectionneurs. Aujourd’hui, le fonds de reproductions dépasse les 10.000 négatifs. « C’est ainsi que j’ai rencontré Lucien Treillard, le dernier secrétaire particulier de Man Ray. Il était très méfiant au départ car il rejetait complètement l’exploitation commerciale de l’œuvre de celui qui fut son ami plus que son employeur.
Lui-même conservait des tonnes de merveilles et n’avait même jamais pu se résoudre à jeter les négatifs de portraits commerciaux dont vivait Man Ray à ses débuts. Plutôt que les détruire, comme il le lui avait demandé, il les avait donnés à Beaubourg.
Des caisses entières, dont seulement 15.000 négatifs ont été numérisés pour l’instant… » Peu à peu, une complicité s’installe entre les deux hommes autour de la vénération du maître. « Je crois qu’il me considérait un peu comme son fils spirituel.
Ce qui fait qu’un jour, il est arrivé chez moi avec 3.000 phototypes réalisés par Man Ray lui-même et ses assistants, comme une sélection de ce qu’il voulait que l’on conserve réellement de son œuvre et tel qu’il souhaitait qu’on la diffuse.
Il m’en a fait cadeau… mais il n’y a rien qui me fasse autant jubiler aujourd’hui que de retrouver une image inconnue. »
En plus de la photothèque numérique de Man Ray, Telimage, la société de Pierre-Yves Butzbach, a également créé la base de données de la Fondation Dubuffet, ainsi que le site e-commerce de Titouan Lamazou. www.manray-photo.com permet d’avoir une vue sur la collection et même de commander, parmi 150 images sélectionnées, une reproduction sur papier argentique du format 24x30 au 50x60. Avec la complicité de Lucien Treillard, le secrétaire particulier de Man Ray
https://www.estrepublicain.fr/est-magazine/2014/03/02/gardien-du-tresor-de-man-ray
Fred JIMENEZ - 02 mars 2014